La rencontre de football opposant le Shakhtar Donetsk et le Stade Rennais s’est jouée, jeudi 16 février, à Varsovie. L’occasion pour les Ukrainiens, supporters ou non, de manifester leur soutien à leur pays envahi par la Russie.
« La Russie est un État terroriste ». Vers 18 heures, la pancarte accueille tous ceux qui s’approchent du stade de l’armée polonaise à Varsovie. Écrit au feutre vert, sur une pancarte blanche accrochée à une barre de fer horizontale, ce message politique imaginé par Ludmyla Zalenko, une réfugiée ukrainienne de 35 ans, dénonce l’invasion de son pays par la Russie, débutée le 24 février 2022. Elle demande à tous les passants de filmer ou de prendre en photo son happening. Tout en s’assurant à chaque fois que son visage ne soit jamais identifié, par crainte d’éventuelles représailles au cas où elle serait amenée à être reconnue.
Si Ludmyla a choisi ce lieu, ce n’est pas par hasard. Connue également sous le nom de stade du Maréchal Józef Piłsudski, en hommage à l’ancien président du pays, l’enceinte accueille ce jeudi 16 février, un match de football européen assez particulier. À l’occasion du barrage aller de la Ligue Europa, le club français du Stade Rennais se déplace en Pologne pour y affronter l’équipe ukrainienne du Shakhtar Donetsk à 18h45. Une qualification en huitième de finale est en jeu.
En réalité, le Shakhtar joue presque à domicile. Dès 2014, et le conflit ayant éclaté dans la zone Est de l’Ukraine, le club orange et noir a pris l’habitude de ne plus jouer chez lui. Il s’est exilé à Lviv, à Kharkiv puis à Kiev. Depuis l’invasion russe, c’est désormais à Varsovie, sur la pelouse du Legia, club de football de la capitale, qu’il s’entraîne et joue ses matchs de coupe d’Europe. La Pologne apportant une aide considérable aux réfugiés ukrainiens, le pays est même devenu la première destination d’exil de ces derniers.
Originaire de Soumy, ville située au nord de l’Ukraine, Ludmyla a quitté son pays aussitôt l’invasion russe commencée, sa fille de dix ans dans les bras. Elle est depuis hébergée à Piaseczno, ville située au sud de Varsovie, par un ami de sa famille vivant en Pologne depuis près de dix ans. Quand elle apprend que l’unique club de football ukrainien encore en lice en coupe d’Europe allait jouer à Varsovie, elle n’hésite pas une seconde à faire le déplacement.
Pour cette employée dans un commerce polonais, et dont le mari est retenu en Ukraine, c’est la première fois qu’elle se rend dans un stade. Bien qu’elle ne soit pas amatrice de football, elle tenait à être présente pour soutenir l’équipe de son pays natal et faire passer un message. « Je sais qu’un match de football doit être une fête mais je ne veux pas que cet événement fasse oublier ce qu’il se passe dans mon pays depuis un an », affirme-t-elle avec émotion.
« À travers le Shakhtar, je soutiens l’Ukraine ! »
Ce soir de février, plus de 13 000 spectateurs, bravant le froid glacial, ont fait le déplacement pour assister à la rencontre entre Rennes et le Shakhtar. Comme Ludmyla, de nombreux supporters sont venus avec leur drapeau ukrainien autour des épaules. En particulier les femmes et les enfants, qui n’hésitent pas à montrer fièrement les couleurs de leur pays. Le bleu et le jaune sont tellement visibles sur la rue Lazienkowska qu’ils en feraient presque oublier que c’est le club de Donetsk qui joue et non la « Zbirna » (la « Sélection »), surnom donné à l’équipe nationale ukrainienne.
Au Legia Sports Bar, face au stade, deux supporters ukrainiens du Shakhtar vivant en Pologne depuis neuf ans se sont retrouvés autour d’une table pour boire un verre de bière, quelques minutes avant le début du match. Originaires de Donetsk, Grisha Budny et Maksym Melnik âgés respectivement de 42 et 30 ans, sont venus avec leurs écharpes aux couleurs du club. « C’est notre équipe de cœur depuis tout petit, affirme Grisha, conducteur de bus. Alors que le sport ukrainien est à l’arrêt, voir le Shakhtar continuer de jouer est un privilège ».
Ils sont pleinement conscients du fort écho politique qu’a cette rencontre, un an après le début du conflit, le 24 février 2022. « C’est un match d’une compétition européenne mais il montre au monde entier que l’Ukraine est toujours là, prête à se battre », affirme avec détermination Maksyme, ouvrier dans l’électroménager.
Dès le coup d’envoi de la rencontre, les supporters du Shakhtar manifestent bruyamment leur présence par des chants, des cris et des huées. Parmi eux, Tanya Antonov, Ukrainienne âgée d’une quarantaine d’années et vivant en Pologne depuis deux ans. Tout au long du match, elle n’a pas cessé d’agiter le drapeau miniature de son pays natal et de l’embrasser. Aux cris de « Shakhtar ! Shakhtar ! », elle s’époumone pour que les joueurs orange et noir l’entendent. « Je ne connais aucun joueur de l’équipe », reconnait en souriant cette femme emmitouflée dans son manteau à rayures grises.
C’est l’idée de soutenir une équipe ukrainienne qui l’a convaincue de se rendre au stade. « J’ai des amis qui sont encore à Kiev, et je me sens impuissante face aux événements dramatiques qui s’y déroulent. J’agis à mon niveau en venant ici. À travers le Shakhtar, je soutiens l’Ukraine ! ».
Vladimir Poutine insulté
Bien que ce soit une qualification en huitième de finale qui se joue, la dimension politique du match a pris le pas sur l’enjeu sportif. Les spectateurs présents dans les tribunes multiplient les chants pro-Ukraine et anti-Russie. Des chants patriotiques initiés par une dizaine d’adolescents situés en bas des tribunes Nord et Sud. Verre de bière dans une main et drapeau ukrainien ou du Shakhtar dans l’autre, ils haranguent la foule avec énergie et un grand sourire.
Face au « Qui ne saute pas n’est pas Rennais ! » des supporters bretons, les Ukrainiens répondent par « Qui ne saute pas est un Russe ! » Après avoir chanté « Chervona Ruta » (« Rue rouge »), chanson du compositeur ukrainien Volodymyr Ivasyuk tué par les Soviétiques en 1979, et une autre rendant hommage aux forces armées, les supporters du Shakhtar sont allés jusqu’à insulter Vladimir Poutine (« Poutine est une bi** ! »), répétant un slogan né en 2014 suite à l’invasion du Donbass par la Russie.
Dans les dernières minutes du match, les spectateurs ukrainiens se sont mis à chanter l’hymne national, tête levée et main sur le cœur, remplis de joie : le Shakhtar a trouvé le chemin des filets à deux reprises. Et une fois la fin du match sifflée, entérinant la victoire du Shakhtar Donetsk sur le Stade Rennais (2–1), le stade exulte de joie et les drapeaux sont agités dans le ciel.
Il n’en fallait pas moins pour ravir Andrezj Roudenko, écharpe du Shakhtar autour du cou mais supporter du Dynamo Kiev, une équipe ukrainienne rivale des vainqueurs du soir. Vivant à Varsovie depuis six ans, originaire d’Ivano-Frankivsk dans l’ouest de l’Ukraine, cet homme de 27 ans travaillant dans la sécurité a eu une vingtaine de ses proches morts dans des bombardements russes à Kherson. Cette victoire sportive l’a malgré tout enthousiasmé. « A chaque fois que l’Ukraine gagnera, elle rappellera à l’Europe qu’elle est le bouclier qui la protège de l’invasion de la horde russe ! », assure-t-il avec fierté.
Alors que les supporters commencent à quitter les tribunes, le speaker du stade prend la parole brièvement. « Amis ukrainiens, sachez que nous continuerons à soutenir le Shakhtar Donetsk quoi qu’il en arrive. La Pologne et l’Ukraine sont ensemble dans ce combat ! », promet-il au micro. Les supporters lui répondent alors tous en chœur : « Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros ! ».