105 soldats ukrainiens venus directement du front s’entraînent en Pologne au maniement des chars Léopard II. Une formation accélérée avant de repartir au combat. Pour l’heure, ils en font la démonstration au président Andrzej Duda.
« Nous sommes tous des soldats. Nous venons du front oriental de l’Ukraine, de Donetsk et de Lougansk », explique Vadym Khodak affichant un sourire sur son visage buriné. Sur son uniforme kaki, l’insigne du drapeau bleu et jaune est cousu à son épaule droite. Vadym Khodak dirige la 4ème brigade de chars, une section de soldats ukrainiens venus directement du front, jusqu’en Pologne, pour s’entraîner au maniement des Léopard II. Ces blindés occidentaux, plus modernes que les chars soviétiques T‑72 dont se servent actuellement les Ukrainiens au combat, seront bientôt livrés à l’Ukraine.
À 57 ans, Vadym Khodak était retraité de l’armée, mais s’est porté volontaire dès le début de la guerre pour participer au combat. En à peine deux jours, lui et ses hommes ont reçu l’ordre de quitter le front pour arriver ici, à Świętoszów, à l’ouest de la Pologne, non loin de la frontière allemande. Sa famille, elle, est restée à Dnipro. « Tout le monde est à la maison, travaille, ou fait du bénévolat », raconte le major ukrainien, une main sur le cœur. Ses réponses sont directes, dénuées d’hésitation. Son regard se tourne souvent vers la traductrice, en retrait, comme pour s’assurer que son message passe correctement auprès des journalistes polonais postés devant lui.
La ville de Świętoszów sert avant tout de base militaire à la dixième brigade de cavalerie blindée polonaise. Quelques maisons, immeubles et bâtiments abandonnés côtoient ce camp cerclé par des barbelés et composé d’immenses terrains d’entraînement, forêt, hangars et casernes.
Un entraînement sous l’œil du président
Ce lundi 13 février, c’est un bal incessant de camions, jeeps, ambulances couleurs camouflage qui a lieu dans cette petite ville polonaise. Une effervescence liée à la visite du président Andrzej Duda et du ministre de la Défense nationale Mariusz Błaszczak à Świętoszów. Ils viennent assister à une démonstration des fameux chars et rencontrer les soldats ukrainiens et leurs instructeurs.
C’est à Świętoszów que les chars Léopard II de facture allemande ont été livrés en 2012. C’est donc naturellement ce camp-là qui a été choisi pour accueillir les 105 soldats ukrainiens. ©Polska/Fleur Bouron
La manœuvre est prévue dans le camp militaire, sur un terrain déboisé, au milieu d’une forêt dense. Une esplanade, des hangars et une tour de contrôle surplombent le terrain. Une vingtaine de chars sont présents, différentes versions d’un même modèle mais difficile de les distinguer à l’œil nu. Certains, impeccables, sont postés sur la terrasse dallée du bâtiment où l’on attend le Président. Les autres, chenilles dans la boue, patientent à l’orée du terrain. On entend au loin des détonations, preuve que d’autres exercices militaires sont en cours. Et un chronomètre géant fait défiler les secondes, donnant l’impression que l’exercice est imminent.
Pourtant, le président et son ministre se font attendre, et avec eux les nombreux journalistes présents pour couvrir ce déplacement. Andrzej Duda entend bien soigner sa communication dans un moment aussi important pour son pays. Car depuis que l’Allemagne a accepté de livrer à l’Ukraine ses chars blindés Léopard II — et a donné l’autorisation aux pays qui en sont équipés de livrer les leurs — des formations pour manoeuvrer ces blindés d’assaut ont été mises en place en Pologne et en Allemagne. Cet enseignement a lieu dans le cadre de la mission EUMAM Ukraine, une mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien au pays attaqué par la Russie.
« Tout le monde observe ce qu’il se passe actuellement en Pologne. C’est un moment crucial pour ses leaders politiques », souligne le général Boguslaw Pacek, directeur de l’institut de sécurité et de développement international à l’université Jagellon de Cracovie. « Le soutien affiché des leaders polonais vise à inciter des pays comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, qui ne participent pas encore suffisamment aux actions d’aide, à intensifier leurs efforts », ajoute-t-il.
Andrzej Duda et Marius Błaszczak, en tenue civile aux tons militaires, sortent enfin des vastes hangars. Le président esquisse un sourire en direction des journalistes, puis serre la main aux militaires polonais et ukrainiens alignés face à lui.
Le signal est enfin donné. Quatre chars filent tout droit vers le fond du terrain boueux et plein d’ornières. Les véhicules s’immobilisent et un soldat de chaque équipage lance un projectile du haut de la tourelle. L’horizon se couvre alors de fumée blanche. Puis les véhicules font rapidement marche arrière. Le tout dure quinze minutes, le temps pour un militaire polonais d’expliquer aux politiciens ce qui est en cours sous leurs yeux. Dans un mois, il ne sera plus question d’un exercice. Les soldats manœuvreront pour combattre l’ennemi.
S’ils ne tirent pas directement avec le canon, c’est que les soldats ukrainiens n’en ont pas encore le droit. Cela fait à peine une semaine qu’ils suivent cet entraînement intensif. « Il y a d’abord des cours théoriques. Puis, nous passons à l’entraînement sur les simulateurs, et l’étape finale consiste à tester les compétences sur le champ de tir avec des munitions », détaille le sergent-chef polonais Krzysztof Sieradzki, instructeur de la formation. Son béret vissé sur le crâne, cousu d’un aigle, insigne de l’armée polonaise, ne bouge pas d’un iota. En position repos, les mains jointes derrière son dos bien droit, il ajoute : « Ils aimeraient bien aller tout de suite dans les chars, mais nous devons nous assurer qu’ils effectueront ces activités de manière appropriée. »
« Nous sommes tous des soldats. Nous venons du front oriental de l’Ukraine, de Donetsk et de Lougansk. »
Vadym Khodak, major ukrainien de la 4ème brigade de chars
Car pour manier un tel engin, « il faut être quatre », détaille Artur Pinkowski, le porte-parole de la 11e division de cavalerie blindée : le commandant, le conducteur, le tireur et le responsable du chargement de la munition. Ils sont 21 équipages à s’entraîner. Un contingent auquel il faut ajouter le personnel technique, les mécaniciens de châssis et des armes. Ce sont eux qui assureront la réparation des chars endommagés une fois au front.
Des soldats ukrainiens déjà aguerris
À la différence d’autres camps d’entraînement militaires européens, ce sont ici des soldats qualifiés qui ont été choisis. « Nos soldats ont déjà l’expérience des chars d’assaut pour aller sur la ligne de front », insiste Vadym Khodak le regard assuré. « Ils s’entraînent tous les jours, entre dix et douze heures, sauf le dimanche », souligne Artur Pinkowski. Pour acquérir cette maîtrise en temps normal, les soldats polonais disposent eux de douze semaines de cinq jours, avec des journées de sept à huit heures. C’est donc un entraînement express pour les Ukrainiens, mais qui « sera suffisant pour maîtriser la technologie », assure le major Khodak.
L’urgence oblige en effet à condenser la formation, car l’Ukraine fait face aujourd’hui à la phase la plus dangereuse des combats depuis le début de l’agression russe, souligne un haut gradé militaire français au sein de la mission EUMAM. « On s’attend à une attaque importante d’ici la fin du mois ou début mars », détaille le général Pacek. Cela fait quelque temps désormais que la Russie envoie des signaux, dans les journaux, sur Internet. Pour l’instant, il y a des mauvaises conditions, notamment la température négative qui rend difficile le maniement des chars. » Mais l’attaque semble imminente et pourrait durer plusieurs semaines à plusieurs mois, selon ce dernier.
La découverte du matériel
« Nous n’avons pas besoin de les motiver. Et nous devons pratiquement les freiner davantage pour leur transférer des connaissances par petits lots », raconte Krzysztof Sieradzki. Vadym Khodak l’assure, « les soldats apprécient beaucoup les équipements, un matériel de très bonne qualité ». À la découverte de ces chars, « ils ont été surpris qu’il y ait autant d’espace et que toutes les commandes soient simples et ergonomiques », raconte leur commandant sans manifester lui-même des signes d’étonnement.
L’une des particularités des Léopard II réside dans leur capacité à tirer des projectiles pendant la manœuvre. Leurs caméras thermiques augmentent la possibilité de l’utiliser la nuit, et la portée du canon permet de détruire une cible éloignée de 4 000 mètres. « C’est là un avantage sur les chars russes », assure Krzysztof Sieradzki.
Pour l’heure, les Ukrainiens au combat font sans ce matériel de pointe. « Nous manquons cruellement de véhicules blindés, et j’espère que lorsque ces équipements arriveront sur la ligne de front, ils sauveront beaucoup de vies de nos soldats et nous mèneront à la victoire », affirme Vadym Khodak, le regard tourné vers les chars. Il conclut en implorant la protection de la Vierge Marie pour ceux qui sont au combat.