Au club de Volup, la communauté gay n’a plus besoin de se cacher

Pre­mière asso­ci­a­tion sportive LGBT en Pologne, Volup se démène pour offrir un refuge où cha­cun est libre de pra­ti­quer son sport à l’abri de toute hos­til­ité.

« Voulez-vous couch­er avec moi ce soir ? ». La chan­son Lady Marme­lade résonne dans la salle de fit­ness. Après avoir déposé sa barre de mus­cu­la­tion au sol, Tomek Paź se déhanche au rythme de la mélodie. « C’est comme ça à Volup, on peut être soi-même ! », s’enthousiasme-t-il. Comme chaque mar­di soir, l’analyste financier par­ticipe au cours de cross­fit organ­isé par Volup, le pre­mier club de sport LGBT en Pologne. Ici, la mas­culin­ité n’est pas syn­onyme de testostérone. Les haltères sont portés déli­cate­ment. La foulée de la course est légère. Dans un milieu où les hommes sont d’ordinaire enjoints à exhiber leur force, les mem­bres de Volup décou­vrent le plaisir du sport à leur manière. À vingt ans, Dominik Piekars­ki fait par­tie des plus jeunes du groupe, et surtout des plus dis­crets. Lorsque son ami lui a par­lé de Volup il y a quelques mois, il était plutôt scep­tique. « Je ne suis pas quelqu’un de très socia­ble et j’avais de l’appréhension à faire du sport », explique-t-il. Le jeune homme reste trau­ma­tisé par ses cours d’EPS quand il était ado­les­cent, prin­ci­pale­ment à cause des garçons « qui peu­vent se mon­tr­er très méchants lorsqu’on est dif­férent ».

Fondée en 2005, l’association vise à unir la com­mu­nauté LGBT de Varso­vie. Avec le sport, mais pas que. « Nous pro­posons des sor­ties cul­turelles, au théâtre, à l’opéra, ain­si que des week-ends d’excursion en Pologne ou à l’étranger », énumère Jacek, prési­dent du club depuis 2020. « Le plus impor­tant pour nous est de per­me­t­tre à la com­mu­nauté LGBT de se rassem­bler au sein d’une “safe place” où per­son­ne n’aura besoin de cacher qui il est véri­ta­ble­ment ».

Place aux exer­ci­ces en binôme. Tomek Paz et Wlodeck Hernik affichent leur com­plic­ité sans aucun com­plexe. Les deux hommes se font face, leurs t‑shirts dégouli­nant de sueur. En posi­tion de gainage, ils se tapent une main après l’autre. Tomek et Wlodeck sont ensem­ble depuis plus de six ans. Ils aimeraient se mari­er un jour mais ce n’est pas autorisé en Pologne. « On ne sait pas si ça le sera un jour », regrette Tomek. Aucune union homo­sex­uelle n’est recon­nue dans ce pays de l’Est de l’Europe. L’adoption ne leur est pas per­mise non plus. Pour les mem­bres de Volup, ne pas avoir les mêmes droits que les hétéro­sex­uels est vécu comme une véri­ta­ble souf­france.

Grâce à Volup, Tomek et Wlodeck se sen­tent libres de faire du sport en cou­ple. ©Polska/Romane Tessier

« Je me suis senti très seul »

Dans un français presque par­fait, Marek Szolc témoigne de la soli­tude qu’il a ressen­tie pen­dant de nom­breuses années : « Je voy­ais mes amis hétéro­sex­uels se mari­er, acheter un loge­ment et avoir des enfants. Mal­heureuse­ment, en tant que per­son­ne homo­sex­uelle en Pologne, je ne peux pas repro­duire ce sché­ma famil­ial. Alors je me suis sen­ti très seul ». Grâce à Volup, Marek a ren­con­tré des sem­blables avec qui il a pu partager une même vision de la vie.

Le cli­mat poli­tique n’est pas à la faveur de la com­mu­nauté LGBT polon­aise. Au con­traire. Depuis 2015, le par­ti au pou­voir porte un dis­cours osten­si­ble­ment homo­phobe. Marcin Twar­dows­ki s’exaspère : « Le gou­verne­ment veut nous faire croire qu’on est mau­vais, qu’on est comme une sorte de mal­adie. C’est de la con­ner­ie ». Pour ce fidèle de la séance de cross­fit, l’objectif de Volup n’est pas de se bat­tre con­tre des poli­tiques qui « n’en valent pas la peine ». Dans ce club, le mil­i­tan­tisme ne fran­chit jamais le seuil du gym­nase. Sauf quand il s’y invite de force.

« Mon fond d’écran me rap­pelle que si j’ai besoin d’aide, Volup sera tou­jours
 là pour moi », Marcin. ©Polska/Romane Tessier

Habil­lé d’un débardeur à l’effigie de Volup, Łucasz Wier­dak con­naît par cœur l’histoire du club. Il en a été le prési­dent de 2009 à 2020. « Je me sou­viens d’une année où nous organ­i­sions un tournoi réu­nis­sant toutes les équipes LGBT d’Europe. Nous louions une salle à une école. Une per­son­ne est venue se plain­dre auprès directeur de l’établissement pour dénon­cer l’organisation d’un tournoi gay dans la ville ». Résul­tat : le con­trat a été rompu à une semaine du tournoi.

Aujourd’hui, le club ne ren­con­tre plus aucune dif­fi­culté à louer des gym­nas­es. Seule­ment, pour financer cette dépense, il ne peut compter que sur les frais d’inscription des par­tic­i­pants. 4 à 5 euros par entraîne­ment en fonc­tion de la dis­ci­pline. « Nous n’avons jamais obtenu d’aides de la mairie », regrette le prési­dent. Pas un prob­lème pour le directeur des sports de la ville de Varso­vie. Si le club en fait la demande, la munic­i­pal­ité devra se résoudre à les aider : « Nous sommes régis par les règles de l’Union européenne, nous sommes donc oblig­és de traiter ce club LGBT de la même manière que les clubs de sport tra­di­tion­nels ».

Au total, Volup compte plus de 300 licen­ciés, âgés entre 20 à 50 ans. Les mineurs y sont inter­dits. « Cela pour­rait nous causer des prob­lèmes », expédie Jacek. Le club ren­con­tre un suc­cès sans précé­dent auprès des hommes. À l’entraînement de cross­fit, ils sont plus d’une quin­zaine à suiv­re les con­signes don­nées par Mag­da, l’entraîneuse. La seule femme présente dans la salle. Sans pou­voir vrai­ment le jus­ti­fi­er, le pro­jet de Volup n’a pas encore séduit la com­mu­nauté les­bi­enne.

Quand certains cherchent la performance…

Le gong reten­tit dans l’enceinte. La séance de cross­fit est ter­minée. Alors que cha­cun se dirige vers le ves­ti­aire, Łucasz s’éternise et prend le temps de s’étirer. Pen­dant onze ans, cet ancien volleyeur de haut niveau s’est démené pour faire grandir l’association. Il doit cet engage­ment à son expéri­ence lon­doni­enne au début des années 2000. « J’ai décou­vert un club LGBT qui m’a appris à assumer mon homo­sex­u­al­ité. En revenant en Pologne, je souhaitais offrir la même oppor­tu­nité à la com­mu­nauté LGBT de Varso­vie », explique l’homme qui préfère désor­mais n’être qu’un sim­ple adhérent. Demain, il ne pour­ra pas assis­ter à l’entraînement de vol­ley-ball. « Mais vous ver­rez, c’est le haut niveau là-bas », promet-il avec un sourire mali­cieux.

Les entraîne­ments de vol­ley ont lieu le lun­di et le mer­cre­di et durent deux heures min­i­mum. ©Polska/Romane Tessier

Le vol­ley-ball est la pre­mière sec­tion a avoir été ouverte à Volup. Ici, il n’est pas ques­tion de s’amuser, mais de per­former. Sur le ter­rain, les joueurs saut­ent haut. Les frappes sont puis­santes. Et chaque point est célébré avec rage. Lunettes vis­sées sur le nez, Michał Zając se démar­que par sa grande taille. Il y a qua­tre ans, il n’a pas décidé d’intégrer Volup du fait de son homo­sex­u­al­ité, mais parce que l’équipe était meilleure que celle dans laque­lle il évolu­ait alors. Pas­sion­né de vol­ley depuis le col­lège, le jeune homme veut pro­gress­er à chaque entraîne­ment. « Lorsque j’ai rejoint le club, j’ai fait savoir à mes coéquip­iers que ma seule exi­gence était de gag­n­er la médaille d’or au tournoi européen de Varso­vie », se remé­more-t-il en riant.

À Volup, Michał a évolué en tant que joueur, mais aus­si en tant que per­son­ne homo­sex­uelle. « Je ne souhaitais pas faire par­tie de la com­mu­nauté LGBT car la socia­bil­ité s’y résume générale­ment aux soirées en boîte de nuit et au sexe. Je n’aime pas ça. », admet Michał, « J’ai appris à être un homme gay dif­férem­ment », con­clut celui qui appré­cie cass­er le stéréo­type de l’homosexuel efféminé.

…d’autres sont en quête de renaissance

La sec­tion vol­ley a telle­ment de suc­cès que le club a dû créer des équipes selon les niveaux. Sur le ter­rain des débu­tants, on ne voit que le sourire Wjo­ciech Węglews­ki. Celui-ci dis­paraît peu à peu quand, les yeux bril­lants, il racon­te son ado­les­cence dif­fi­cile dans un petit vil­lage de l’Est de la Pologne. Né dans une famille catholique, Woj­ciech a été enfant de chœur pen­dant près de dix ans. « Tous les jours, j’entendais que j’allais brûler en enfer et j’étais effrayé », témoigne le désor­mais trente­naire, « J’avais peur de ce qui pou­vait m’arriver si je fai­sais mon com­ing-out. Je pen­sais que je n’avais pas ma place sur Terre ». Cela ne fait que quelques mois que Woj­ciech a inté­gré l’équipe de vol­ley. Il ne réus­sit pas tou­jours ses attaques. Ses manchettes sont mal­adroites. Mais peu importe. À Volup, Woj­ciech a enfin trou­vé sa place.