Depuis le début de l’invasion russe, la Pologne a accueilli près de 1,5 millions de réfugiés ukrainiens. Cet afflux, combiné à l’inflation, a fait bondir les prix du logement. Omaidullah, Azhar et Diana, réfugiés à Varsovie, nous racontent leur parcours.
Dans l’appartement de Omaidullah, 31 ans, les dizaines de photos de famille accrochées au mur de l’entrée ne sont pas les siennes. Depuis 5 mois, le jeune cuisinier afghan vit dans cet appartement de 40 mètres carrés dans le quartier de Stary Zoliborz qu’il loue 800 zloty par mois (170 euros). Une chance, alors que pour le même type de bien, les prix avoisinent aujourd’hui les 1 600 zloty (350 euros). C’est une de ses collègues de travail qui l’a mis en contact avec la propriétaire des lieux. Avant d’arriver en Pologne, il était enseignant en Afghanistan, sa vocation. Cette période de sa vie lui laisse des souvenirs impérissables. Aujourd’hui, il travaille dans les cuisines de Baza et espère se forger le début d’une autre carrière, dans cet établissement employant des réfugiés de toutes nationalités.
Le jeune Afghan gagne 1 600 zloty mensuel (330 euros). C’est une somme modeste, mais qui lui permet d’aider financièrement sa famille restée en Afghanistan, qu’il a quitté pour fuir le régime des Talibans.
«Par honte, je n’ai pas dit à mes collègues que je dormais dehors»
Pudique et chaleureux, Omaidullah profite de son jour de repos pour nous accueillir. Une décoration minime, un papier peint à motifs. Dans ce logement, il vit presque tout seul. La propriétaire de l’appartement y séjourne occasionnellement pour voir sa famille à Varsovie. Un échange de bon procédé qui semble lui convenir. Passionné par son nouveau travail, il est heureux de pouvoir compter sur ses collègues chez Baza. Si Omaidullah n’est pas « familier avec la culture du hug », c’est ainsi qu’ils se disent bonjour entre collègues.
S’il a trouvé plus de stabilité aujourd’hui, ce n’était pas le cas il y a quelques mois. Avant d’arriver sur le sol polonais, il y a 18 mois, Omaidullah a dû vivre dans des camps de réfugiés à la frontière polonaise. Dans ces camps, il se souvient avec émotion de ses mauvaises conditions de vie, « il n’y avait rien à manger. Si bien que les parents cuisinaient des champignons à leurs enfants. Certains en sont morts », raconte t‑il. Il y a tout juste un an, il quitte le camp pour s’installer chez son cousin à Varsovie. Une situation inconfortable qui lui permettait toutefois de rejoindre la capitale, où il a commencé un nouveau travail de plongeur puis de cuisinier.
Omaidullah a été balloté d’un logement à l’autre. « J’ai passé plusieurs jours à dormir dehors, dans des parcs, confie-t-il. Mes collègues à Baza m’ont vu fatigué, malade. Par honte, j’ai préféré ne pas leur faire part de ma situation.» Et le cuisinier d’ajouter : « Quand ils l’ont su, ils étaient en colère que je ne me sois pas confié à eux. »
Des loyers multipliés par trois ou par quatre
Azhar a quitté Kaboul pour Varsovie en décembre 2021. Passé par le Pakistan, il a attendu un mois avant de recevoir son visa, nécessaire pour rester sur le territoire polonais. Ses études en business administratif, le jeune cuisinier les a mises entre parenthèses. « En quelques jours, les rêves de toute la jeune génération afghane se sont écroulés à l’arrivée des Talibans, notre liberté aussi », confie le jeune homme de 23 ans.
Il est venu avec sa petite sœur de 21 ans qui a trouvé un emploi au sein d’une association d’aide aux réfugiés. Après trois mois passés dans un camp de réfugiés dans la région de Mazowieckie, des activistes leur ont offert leur aide. « C’est une expérience éprouvante, de chercher un logement dans un pays dont tu ne connais pas la langue », affirme Azhar.
Ils ont mis près de cinq mois pour trouver un appartement avant qu’une famille afghane locataire d’un deux pièces leur propose de louer le logement 2 500 zloty par mois (530 euros), à une demi-heure du centre de Varsovie. « Financièrement c’est difficile, dès que j’aide ma famille restée en Afghanistan », explique le jeune originaire de Kaboul. « Tout ce qu’on trouvait, même les appartements les plus petits, coûtait en moyenne entre 3000 et 4000 zloty par mois alors que je gagne moitié moins. Je ne peux pas me permettre de mettre tout mon salaire dans un loyer ». Ils bénéficient d’une aide de l’Etat de 700 zloty (150 euros), un complément nécessaire en vivant dans la capitale et qui lui permet de boucler tout juste les fins de mois.
Pour rejoindre son travail, Azhar a eu besoin de se rapprocher du centre de la ville. Cette nécessité s’explique naturellement par le fait que « les réfugiés privilégient la vie proche du centre pour leur garantir un accès plus facile à l’emploi et aux proches, mais il n’y a plus aucun appartement disponible », assure Marcin Janczuk, directeur marketing et analyste du marché immobilier à Varsovie à Metrohouse.
Comme le précise cet expert, ce phénomène s’amplifie pour les logements à destination des familles nombreuses. « Dans le centre de la capitale, les prix ont été multipliés par trois ou quatre, surtout les logements pouvant accueillir des familles nombreuses, détaille-t-il. Si en moyenne le loyer coûtait 3000 zloty (630 euros) avant 2020, aujourd’hui il faut compter entre 13 000 et 15 000 zloty (2800 euros). Les plus pauvres sont encouragés à rejoindre les petites villes, mais celles-ci sont boudées par les classes modestes, où le chômage est important ». Les prix chuteront dans plusieurs mois, précise-t-il, quand les biens perdront de la valeur et que les afflux de personnes ce seront stabilisés.
« Notre appartement à Varsovie coûte près du double de notre logement en Ukraine »
Ce phénomène est aussi vécu par les familles ukrainiennes qui ont quitté précipitamment leur pays après l’invasion russe le 24 février 2022. « L’arrivée massive des Ukrainiens est responsable de l’accroissement du prix des loyers », déclare Marcin Janczuk. « Près d’un million de réfugiés ukrainiens ont rejoint la métropole, c’est autant de monde qui doivent se reloger dans une ville où près de 80% de la population est propriétaire. En conséquence, le marché est de plus en plus concurrentiel. »
Diana Pomanysochka et sa famille ont dû batailler pour trouver un logement. À 17 ans, cette réfugiée ukrainienne est une grande habituée de Baza. Il y a encore un an, elle menait son quotidien d’étudiante dans un lycée de l’Est de l’Ukraine. Elle se souvient du 24 février 2022, date à laquelle la Russie entre en guerre contre l’Ukraine. Du jour au lendemain, elle a dû quitter sa maison, ses amies, des membres de sa famille. Parler de la guerre en Ukraine lui semble encore difficile. Les mots pour qualifier ce qu’elle a vécu ont du mal à sortir, seul « l’horreur » a pu le qualifier.
En mars 2022, Diana quitte l’Ukraine avec ses parents, sa sœur et ses neveux. « Ma maison a été bombardée. On a pris la voiture pendant des heures sous le bruit des bombes qui tombaient à quelques kilomètres à peine. » Arrivés en Pologne, ils ont dû trouver un logement. « Il y a avait tellement de familles ukrainiennes à reloger à Varsovie, que trouver un appartement tenait du miracle. On a réussi à en trouver un dans une banlieue proche du centre de Varsovie ». La lycéenne ajoute que ses parents paient « le double du prix de leur appartement en Ukraine, parce qu’ici nous devons verser le prix du logement ainsi que les charges qui sont élevées. En tant que famille réfugiée et nombreuse, nous avons pu bénéficier d’une aide financière au logement, notamment ma sœur pour ses deux enfants. »
Depuis septembre, elle peut se concentrer sur sa dernière année de lycée dans l’établissement polonais qu’elle a intégré. Plusieurs fois par semaine, elle vient se ressourcer à Baza, avec ses amies. Passionnée d’Art, de théâtre et de cinéma, Diana espère pouvoir poursuivre des études dans ce domaine qu’elle chérit tant, en Allemagne, pays de ses rêves ou en Pologne, le pays où elle se reconstruit.