Sur le ring, place aux Polonaises

En Pologne, la pra­tique de la boxe fémi­nine attire de plus en plus. Mal­gré les stéréo­types d’une dis­ci­pline tra­di­tion­nelle­ment mas­cu­line, nom­bre d’entre elles osent enfin enfil­er les gants.

Der­rière la grille rouil­lée d’une cour délabrée, les néons bla­fards de la salle en sous-sol du Warsza­ws­ki Boks Club, jail­lis­sent dans la nuit noire de Varso­vie. « Gauche, droite, gauche ! Esquive ! Gauche, gauche, droite ! » Au rythme effréné des instruc­tions de Michał Prusak, 38 ans, entraîneur et gérant du club, sept boxeuses frap­pent dans les gants de leur parte­naire, ren­dant coup pour coup. Mis à part le coach, pas un homme à l’horizon. A tour de rôle, elles se pla­cent ensuite de part et d’autre des sacs de frappe pour se les ren­voy­er de toutes leurs forces. Ancien boxeur pro­fes­sion­nel, caté­gorie super-léger, Michał, en jog­ging gris, se fond dans le paysage. Il cor­rige les approx­i­ma­tions. Piv­ote­ment du pied, équili­bre des épaules et petits pas d’ajustement. A chaque pause, la bonne humeur prend le dessus sur l’épuisement et les boxeuses parta­gent con­seils et dif­fi­cultés. D’un cri de Michał, « allez ! » ou « encore ! », l’en­traîne­ment reprend, une séance épuisante, à en croire les vis­ages écar­lates et suin­tants des sept par­tic­i­pantes.

Ola Pawlows­ka, étu­di­ante en soci­olo­gie de 23 ans, s’est inscrite au Warsza­ws­ki Boks il y a un an, sur les con­seils d’une amie qui pra­tique la boxe depuis plusieurs années. Aujourd’hui, elle s’entraîne deux à trois fois par semaine. Le temps de repren­dre son souf­fle, elle ôte lente­ment ses gants blancs et les ban­des enroulées soigneuse­ment autour de ses poignets. « Mes par­ents me dis­aient que la boxe n’était pas pour les filles », déplore-t-elle. Out­re ses proches, pour Ola, c’est le regard des hommes qui pèse le plus sou­vent. « Quand je leur dis que je fais de la boxe, ils ne me pren­nent pas au sérieux », ajoute-elle en lev­ant les yeux au pla­fond. Pour éviter les juge­ments, les com­men­taires rabais­sants, elle décide de par­ticiper à des cours non-mixtes — à l’exception du coach — comme celui auquel elle vient d’assister. « Un homme m’a déjà dit qu’il ne voulait pas s’en­traîn­er avec moi car j’étais soi-dis­ant plus faible. Certes, les ses­sions sont plus intens­es avec eux, mais je me sens plus à l’aise quand nous sommes entre filles ». Ces cours, unique­ment dédiés aux femmes, Michał Prusak les a ouvert en mai dernier, remar­quant, ces dernières années, la pop­u­lar­ité crois­sante de la boxe fémi­nine, et esti­mant que « tout le monde devrait être encour­agé à la pra­ti­quer, les hommes comme les femmes ».

Étu­di­ante en design, Katarzy­na Golebiows­ka, 22 ans, sort du ves­ti­aire à son tour. Cette grande brune, très mince, s’est inscrite au club depuis un an. Fatiguée, elle s’installe sur une chaise à l’entrée de la salle. « 70% à 80% des hommes à qui je dis faire de la boxe me deman­dent pourquoi », affirme celle qui a décou­vert la boxe grâce à son frère aîné. Elle regrette que la boxe con­serve une image « mas­cu­line et vio­lente ». Elle, au con­traire, la voit comme « un loisir, une manière de [se] déten­dre et de garder une bonne forme physique ». Ramas­sant ses affaires, elle s’échappe ensuite dans le froid après avoir salué Michał.

« Faire disparaître l’idée que cette discipline est réservée aux hommes »

Dans le milieu de la boxe fémi­nine, et même de la boxe tout court, Karoli­na Koszews­ka, 41 ans, fait fig­ure de référence. Elle a vu l’évolution dras­tique des men­tal­ités polon­ais­es durant les deux dernières décen­nies. Cette anci­enne boxeuse, dev­enue coach, fut cham­pi­onne d’Europe en 2005. Jointe par télé­phone, elle se remé­more ses débuts. « Quand je dis­ais à la fin des années 1990 que je m’en­traî­nais aux sports de com­bat, soit les gens ne me croy­aient pas, soit ils avaient peur », analyse-t-elle avant d’assurer qu’aujourd’hui, « de plus en plus de filles et de femmes pra­tiquent la boxe », sans pou­voir avancer de chiffres pré­cis. On remar­que néan­moins que la Pologne compte aujourd’hui au moins une femme pour chaque caté­gorie dans l’équipe nationale de boxe. L’entraîneuse forme un groupe de jeunes filles de 14 ans au cen­tre olympique de Władysła­wowo, au nord de la Pologne. Son objec­tif : « Faire dis­paraître l’idée que cette dis­ci­pline est réservée aux hommes ».

Sur la rive droite de la Vis­tule, à Varso­vie, non loin du quarti­er de Pra­ga, lorsque l’on passe la porte du club Akademia Wal­ki, un mur sur­prenant attire le regard. Il est orné d’une ving­taine de gants de boxe, le tout inté­grale­ment peint en un rose pas­tel. En son cen­tre, un logo : Box­ing Girls. Mag­da Jan­ic­ka, anci­enne jour­nal­iste de mode recon­ver­tie dans le styl­isme, a fondé ce col­lec­tif au sein du club, en 2019. La salle est vide en cette péri­ode de vacances. Con­cer­nant la place des femmes dans la boxe, « oh que oui, il y a des choses à dire », s’amuse-t-elle avant de s’asseoir sur un des sièges de l’accueil. Il y a sept ans, elle com­mence la boxe mais se retrou­ve « à deux doigts d’abandonner » : « J’étais la seule femme, la testostérone rég­nait, ils se moquaient de moi. Les amies que j’essayais de motiv­er étaient intimidées ».

Lors d’un voy­age à New York, aux États-Unis, elle décou­vre « un pays où les femmes sont presque autant que les hommes dans les clubs de boxe ». À son retour, elle décide de créer le col­lec­tif Box­ing Girls, pro­posant des ate­liers et des cours de boxe dédiés unique­ment aux femmes. Le suc­cès est immé­di­at. « Dès l’annonce de l’ouverture, j’ai reçu près de 70 mes­sages de femmes qui voulaient s’inscrire et en qua­tre ans, 10 000 femmes ont par­ticipé à nos cours ! » s’exclame-t-elle. Cet essor nou­veau s’explique par « la con­fi­ance qu’ont les femmes en elles ». « J’aurais com­mencé plus tôt si on ne m’avait pas dis­suadée mais aujourd’hui, les femmes n’ont plus peur ! » assure Mag­da qui rap­pelle la dif­fi­culté qu’elle a eu à obtenir des sub­ven­tions pour mon­ter son col­lec­tif : « Il a fal­lu mon­ter un dossier d’une trentaine de pages et se bat­tre auprès de la Mairie de Varso­vie, dont les sub­ven­tions pour la boxe sont rares. »

Le suc­cès de Box­ing Girls est fla­grant. Mag­da Jan­ic­ka n’a même plus besoin d’organiser d’événements dédiés pour attir­er des femmes vers son club. ©Polska/Oscar Khosla

Objectif JO de Paris 2024

Juste­ment, dans son bureau du onz­ième étage du Palais de la cul­ture et de la sci­ence, siège Janusz Samel, directeur du bureau des sports de la ville. À la men­tion d’un éventuel manque d’action pour l’inclusion des femmes dans la boxe, il se con­tente de répon­dre à côté : « Nous allons can­di­dater pour l’Euro féminin de foot­ball» Qua­si­ment pas de boxe au pro­gramme de la ville. Varso­vie n’a, en effet, soutenu finan­cière­ment que six clubs en 2022, et refuse de men­tion­ner le mon­tant des aides ver­sées. La boxe de loisirs n’intéresse pas la mairie.

Une jeune Polon­aise de vingt ans pour­rait chang­er la donne, en la per­son­ne d’Oliwia Toborek. Une star de la dis­ci­pline. Elle est cham­pi­onne d’Europe des ‑81kg, troisième mon­di­ale et triple cham­pi­onne nationale. Jointe par télé­phone car malade, elle retrace entre deux tou­s­sote­ments ses débuts, de « garçon man­qué un peu trop gros, sans imag­in­er une seule sec­onde un avenir dans le sport de haut niveau », à la cham­pi­onne qu’elle est dev­enue. Aujourd’hui, Oli­wia est recon­nue dans la rue par des pas­sants qui dis­ent l’avoir vue à la télévi­sion. Elle s’en amuse. « J’ai beau­coup de chance parce que les com­men­taires que je rece­vais plus jeune ont main­tenant dis­paru ». Le rêve de sa vie serait de par­ticiper aux Jeux Olympiques de Paris en 2024, d’autant plus que la boxe, fémi­nine comme mas­cu­line, sera sup­primée du pro­gramme après cette édi­tion. Sa réac­tion si elle y rem­porte une médaille ? Elle laisse plan­er un long silence puis se prend à rêver, « je serais la femme la plus heureuse du monde ». Une médaille olympique, c’est ce qu’il manque à la boxe polon­aise depuis trente ans.