Depuis 2015, le gouvernement polonais du PiS, conservateur et proche de l’Église, multiplie les aides financières aux familles, tout en restreignant l’accès à la contraception et à l’avortement. Objectif : inciter les femmes à avoir plus d’enfants.
« Où sont ces enfants ? » titraient des affiches placardées dans toute la Pologne en août dernier. En gros plan, deux fillettes dans un paysage typique de la campagne polonaise. La fondation catholique à l’origine de ces publicités cherchait à dénoncer la baisse de la fécondité, dans un pays où le gouvernement a fait des sujets liés à la famille son cheval de bataille. Pour Jarosław Kaczyński, le président du parti Droit et Justice (PiS), l’alcoolisme des polonaises serait la cause du faible nombre de naissances. En déplacement dans la ville d’Ełk en novembre dernier, il a déclaré : « Si jusqu’à l’âge de 25 ans, une jeune fille boit autant que les hommes, elle ne fera pas d’enfants. » Une déclaration sans fondement scientifique qui a suscité hilarité et indignation au sein de la société.
La Pologne fait face à un important déclin démographique. Elle compte aujourd’hui 38,2 millions d’habitants mais sa population pourrait tomber à 35,6 millions dès 2040, d’après une prévision d’Eurostat datant de 2019. En cause, un taux de fécondité parmi les plus bas du monde (1,39 enfant par femme). La natalité est devenue une préoccupation majeure pour le gouvernement, conservateur et proche de l’Église catholique, désirant le retour de la mère au foyer. Dans ce pays traditionaliste, les stéréotypes de genre persistent. Selon un sondage Eurobaromètre de 2017, 77% des polonais interrogés ont répondu que « le rôle le plus important d’une femme est de s’occuper de son foyer et de sa famille ».
Des allocations généreuses en échange d’un bébé
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le PiS a multiplié les politiques familiales pour inciter les femmes à avoir des enfants. « Elles sont basées sur des prestations directes, c’est-à-dire donner de l’argent aux familles sous forme d’allocations », explique Laurène Thil, économiste spécialisée sur les politiques familiales en Europe. Et il ne lésine pas sur les moyens. « Ce sont des milliards d’euros mis sur la table pour financer ces programmes », ajoute-t-elle. En 2019, le pays dépensait 3% de son produit intérieur brut en prestations familiales, soit deux milliards d’euros, contre 2,1% pour la moyenne de l’OCDE. 210€ pour la naissance d’un enfant, 63€ par an pour chaque enfant scolarisé, 40€ par mois et par enfant pour un parent isolé, 19€ par mois pour une famille de trois enfants ou plus… Avoir un enfant donne l’impression de décrocher le jackpot.
Introduite en 2016, l’allocation 500+ complète l’allocation familiale de base. Tous les mois, 105€ sont versés aux familles, sans condition de ressources et pour chaque enfant. « Sachant que le salaire moyen net est en dessous de 800€, cet argent est énorme pour un foyer », précise l’économiste. Populaire, cette aide est accusée de pousser les femmes les plus démunies à faire des enfants juste pour l’argent. En vérité, pour l’instant, malgré les efforts déployés par le gouvernement, l’objectif affiché de deux enfants par femme est encore loin. « Ne pas cibler les aides et dépenser des sommes astronomiques, je ne suis pas sûre que ça soit efficace et viable », conclut Laurène Thil.
« Tout ça, ce sont des mesures populistes. Le gouvernement force les femmes à faire des enfants »
Magdalena, 39 ans, pédiatre et mère de deux enfants en Pologne
« Le gouvernement n’investit toujours pas dans des infrastructures d’éducation et d’accueil pour enfants », se désole Aleksandra Michalik, qui perçoit uniquement l’allocation 500+. Après onze mois de congés parental, cette maman de 29 ans a retrouvé un poste de responsable dans les ressources humaines. Problème : il n’y a pas de place pour son fils Titi, âgé d’un an et demi, dans une crèche publique. « Leur nombre est insuffisant en Pologne. J’ai pensé le mettre dans le privé mais ça coûtait très cher », confie-t-elle en serrant son bébé dans ses bras pour calmer ses pleurs. Finalement, la famille a opté pour la garde partagée afin de diviser les coûts par deux. « Je donne tout de même 526€ à la nounou tous les mois. C’est la moitié de mon salaire. »
Contrairement à Aleksandra, les deux enfants de Magdalena Wolska-Kolmus sont à la crèche. « Au niveau des allocations, je touche le 500+ et le Family Care Capital », explique la pédiatre de 39 ans. Introduite en janvier 2022, cette nouvelle aide fournit 2 500€ aux familles sur un ou deux ans, à partir du deuxième enfant et sans condition de ressources. « Tout ça, ce sont des mesures populistes. Le gouvernement force les femmes à faire des enfants », s’exclame la maman, remontée contre les autorités. Et pour cause, Maria, sa fille âgée de trois ans, est issue de la fécondation in vitro (FIV). « Ça m’a coûté quelque chose comme 4 200€. En 2016, le PiS a supprimé son remboursement pour des raisons éthiques », s’indigne Magdalena.
Des restrictions sur la pilule et l’avortement
L’autre volet de cette politique nataliste, c’est de restreindre les droits reproductifs, comme l’accès à la contraception d’urgence. Depuis 2017, les femmes doivent disposer d’une ordonnance médicale pour obtenir une pilule du lendemain. Sans parler de la clause de conscience qui permet aux médecins polonais de choisir, en fonction de leurs croyances, de soigner ou non un patient. « C’est compliqué d’avoir un rendez-vous chez le médecin dans la journée. Il faut souvent passer par un médecin non conventionné et ça coûte cher », raconte Magdalena Perlikowska, 31 ans, qui a été confrontée au problème. En conséquence, la jeune femme se fournit autrement. « Quand je voyage à l’étranger, j’en achète en grande quantité. Je demande aussi à mes amies de m’en ramener », confesse-t-elle. Très indépendante et ambitieuse, la Varsovienne souhaite s’installer à Milan pour suivre des études de décoratrice d’intérieur. « Il n’y a pas de place pour moi en Pologne. »
Le droit à l’avortement n’a pas non plus été épargné. À l’automne 2020, des milliers de personnes sont descendues dans la rue suite à la décision du tribunal constitutionnel d’interdire l’IVG en cas d’anomalies fœtales. Ce motif représentait plus de 90% des quelque 1 000 avortements légaux pratiqués chaque année dans le pays. Première victime de cette restriction : Izabela Sajbor. Cette mère de famille de 30 ans est devenue le visage de la lutte pour l’accès total à l’avortement en Pologne. Le 22 septembre 2021, Izabela s’est rendue à l’hôpital après la rupture de la poche des eaux. Malgré le diagnostic de malformation du fœtus, le personnel soignant s’est abstenu d’intervenir tant que le cœur du bébé battait toujours. Elle est décédée d’un choc septique. En deux ans, au moins trois femmes ont péri à cause d’un refus d’avortement thérapeutique.
« Aujourd’hui, je ne suis pas sûre de vouloir un enfant à cause des restrictions autour de l’IVG »
Dominika, 32 ans, productrice d’expositions à Varsovie
« Désormais, seuls les cas de viol ou d’inceste ou lorsque la vie de la mère est en danger restent des motifs légaux pour avorter », énonce indignée Urszula Grycuk, vice-présidente de la Fondation polonaise pour les femmes et pour la planification familiale (Federa). Depuis l’entrée en vigueur de la loi, la fondation reçoit beaucoup plus de demandes qu’auparavant. « On est neuf et on est débordés par le travail », répond Urszula, vérifiant régulièrement les messages manqués sur son portable. Pour les femmes qui le désirent, la Federa les aide à obtenir des pilules abortives ou les redirige vers des associations qui les accompagnent à avorter à l’étranger, à l’instar d’Avortement sans frontières. En 2021, l’organisation a reçu 31 790 appels et aidé 1 186 femmes à se rendre en Slovaquie ou aux Pays-bas pour avorter. « En automne, seront organisées les élections législatives. L’avortement sera un gros sujet de débats », conclut la vice-présidente, qui écrit régulièrement au gouvernement pour faire évoluer la législation.
Contrairement à ce que souhaiterait le gouvernement, les restrictions sur l’avortement dissuadent les femmes de faire des enfants. Tel est le cas de Dominika Kaszewska. « Aujourd’hui, je ne suis pas sûre de vouloir un enfant à cause des restrictions autour de l’IVG », assure-t-elle dans un français parfait. À 32 ans, cette productrice d’expositions travaille pour Zachęta, la galerie nationale d’art de Varsovie. « C’est un grand privilège pour moi », s’exclame-t-elle en caressant son chien Théodore, un bullmastiff âgé de dix ans. En couple depuis treize ans, son compagnon comprend et respecte son choix. « Si je tombe enceinte et que je souhaite avorter, qu’est-ce qui va se passer ? Je vais devoir aller à l’étranger. Je n’ai pas envie de ça », explique celle qui a pris part aux marches de la grève des femmes en novembre 2020.