Les surfeurs givrés de la Baltique

Surfer en Pologne, c’est pos­si­ble. L’hiver, lorsque les tem­péra­tures sont extrêmes, une poignée de courageux s’aventurent dans des eaux glacées. La glisse en eau froide prend son essor dans ce pays où le surf n’en est qu’à ses prémices.

Oubliez les palmiers, le soleil et la chaleur. Surfer en mer bal­tique, c’est se con­fron­ter à une eau à 1 ou 2 degrés, dans la neige, le froid et l’hostilité des plages hiver­nales. Car, ici, les meilleures vagues se for­ment… l’hiver. Armés de leurs planch­es, cou­verts de la tête aux pieds de com­bi­naisons néo­prènes épaiss­es, seuls les plus fous, les plus pas­sion­nés et motivés défient ces tem­péra­tures extrêmes. Dès que les con­di­tions le per­me­t­tent, les sur­feurs polon­ais se lan­cent à l’assaut des rouleaux.

Karoli­na Wolińs­ka, huit fois cham­pi­onne de surf de Pologne s’entraîne sur son spot favori : Chałupy. ©Cold Waves

Direc­tion Chałupy, la Mecque du surf en Pologne sur la presqu’île de Hel, au Nord du pays. Un spot à plus d’une heure de route de Gdańsk. Une longue plage inin­ter­rompue sur plus de trente-cinq kilo­mètres, ponc­tuée de brise-lames et parsemée d’une mul­ti­tude de camp­ings. Bondé en été, ce bras de terre ressem­ble en hiv­er à un vil­lage fan­tôme post-apoc­a­lyp­tique. 

Ici, la dizaine d’écoles de surf fer­mées côtoient des mil­liers de camp­ing-cars vides. Un grand brun à la car­rure colos­sale, per­turbe la tran­quil­lité des lieux. Posté à la fenêtre de son club de surf de Jas­tar­nia, Łukasz, sand­wich tri­an­gle à la main, s’écrie : « L’école est fer­mée tout l’hiver à cause de la tem­péra­ture de l’eau. Je ren­tre, il fait trop froid ! ». Il claque la fenêtre puis dis­paraît. À quelques mètres du spot, même con­stat pour Karol, 34 ans, vendeur dans un surf­shop de Władysła­wowo. Ce sur­feur local n’ira pas à l’eau aujourd’hui. Comme 90% des 2 000 adeptes de ce sport, il ne se met à l’eau que l’été, lorsque la tem­péra­ture avoi­sine les 18 degrés. Dans son mag­a­sin presque vide, bras croisés, il recule de quelques pas avant de con­fi­er : « J’admire et je com­prends ces sur­feurs hiver­naux. Mais, pour moi, non. C’est trop glacial. »

« Ici tu as l’impression d’être sur une autre planète. C’est magique »

Karoli­na Wolińs­ka fait par­tie des quelques cen­taines de pas­sion­nés qui se jet­tent à l’eau en dépit du ther­momètre. En regar­dant les con­di­tions météorologiques sur son appli­ca­tion mobile, Karoli­na a perçu un bon poten­tiel dans les vagues du jour. Les ses­sions sont ryth­mées par les caprices de la nature. Une heure avant, impos­si­ble de savoir si les con­di­tions seront bonnes. Les vagues polon­ais­es sont par­ti­c­ulière­ment imprévis­i­bles. « Les sur­feurs sont des rêveurs. Tous les jours, on ne fait qu’at­ten­dre la vague », con­fie la cham­pi­onne de surf polon­aise.

Pour affron­ter une eau à 1,8 degré, Karoli­na s’équipe d’une com­bi­nai­son de 6,5 mil­limètres, de chaus­sons, de gants épais et d’une cagoule qui cache sa longue chevelure blonde. Un atti­rail con­traig­nant mais néces­saire. Karoli­na se rap­pelle : « Avant l’apparition de ces com­bi­naisons très épaiss­es, je ne pou­vais pas rester longtemps dans l’eau. Après trois ou qua­tre canards – pas­sages sous l’eau –, je devais sor­tir ». Sur la plage déserte, le bruit angois­sant des rouleaux se mêle au craque­ment des pins tor­dus par le vent. Quelle que soit la tem­péra­ture, chaque instant sur la vague reste syn­onyme de lib­erté pour la trente­naire. Habituée aux plages por­tu­gais­es, la sur­feuse pro appré­cie ce paysage inso­lite : « Ici tu as l’impression d’être sur une autre planète. L’ambiance est dif­fi­cile à décrire mais c’est mag­ique », explique-t-elle. L’atmosphère feu­trée de l’hiver, la tran­quil­lité et l’intimité d’une plage vide, une réu­nion de quelques ini­tiés : voilà ce qui séduit ces sur­feurs du froid. Dans l’eau peu salée de la mer bal­tique, l’équilibre sur la planche est par­ti­c­uli­er, et les sen­sa­tions dif­férentes de celles des océans. « On a un peu l’impression de surfer sur un lac », explique Karoli­na. Après une heure trente d’immersion, et une cinquan­taine de vagues, Karoli­na ressort de l’eau. Elle s’empresse de regag­n­er son van pour se chang­er à l’abri, tan­dis qu’un sourire s’esquisse sur ses lèvres bleues : « Quand je vois les vagues que je surfe, je me dis que je suis prête à tout affron­ter ».

Lorsque les sur­feurs quit­tent la plage, les pêcheurs ren­trent au port. Witodl, 63 ans, par­court la mer bal­tique depuis 40 ans. Emmail­loté dans son blou­son de pêche en four­rure, il mime le geste avec la main :  « Ces gens ont per­du la rai­son ». Sur place, des rumeurs cir­cu­lent. Cer­tains auraient été blessés, d’autres seraient même morts ! Rien ne vient accréditer ces légen­des. Mais les sur­feurs du froid font l’objet de tous les fan­tasmes.

« Je pouvais ressentir le froid dans mes sinus pendant 2 semaines »

À quelques kilo­mètres des spots, au deux­ième étage d’un bloc à l’architecture sovié­tique et à l’allure désaf­fec­tée, Maniek, 25 ans, et Miko­laj, 24 ans, se sou­vi­en­nent de leurs mis­es à l’eau par­ti­c­ulière­ment fraîch­es. Les deux amis ont fait leurs pre­miers pas sur la planche il y a trois ans. Ils ont depuis été piqués par la fièvre de la glisse. Petit à petit, ils ont tout plaqué pour vivre leur pas­sion. Maniek s’est lancé dans la fab­ri­ca­tion de planch­es, tan­dis que Miko­laj, ancien nav­i­ga­teur pro­fes­sion­nel, se con­sacre à amélior­er sa tech­nique.

« Dimanche dernier, c’était vrai­ment rude. La tem­péra­ture extérieure avoisi­nait les moins cinq degrés, tan­dis que celle de l’eau était à peine pos­i­tive » se sou­vient Miko­laj. Arrivé sur la plage à l’aube, avant que le vent ne se lève, il a atten­du le lever du soleil pour se lancer. À peine sor­ti de l’eau, frig­ori­fié, le jeune sur­feur s’est empressé de com­man­der des gants plus épais : 7 mil­limètres. C’est énorme. Cela le préservera, il l’espère, du froid paralysant. « Le pire, ce sont les canards, ajoute Maniek. Je pou­vais ressen­tir le froid dans mes sinus pen­dant 2 semaines », racon­te le jeune arti­san. « Moi, je mets de la vase­line sur mon vis­age, ça préserve un peu du froid » con­seille Miko­laj à son ami. La dis­cus­sion tourne au con­cours d’anec­dotes. Mijo­lak surenchérit : « Je suis allé surfer le lende­main de Noël. Il fai­sait si froid que la bat­terie de ma GoPro n’a tenu que 20 min­utes… »

« Cold waves, c’est le plus grand projet de ma vie »

En atten­dant, Karoli­na et Miko­laj se pré­par­ent pour la pre­mière com­péti­tion de surf en eau froide qui aura lieu en Pologne début mars à Władysła­wowo. Les dates seront fixées au dernier moment, en fonc­tion des con­di­tions météorologiques. « C’est le plus grand pro­jet de ma vie » con­fie Karoli­na, la tête d’affiche de l’événe­ment. Depuis qu’elle a appris qu’elle serait présente par­mi les com­péti­teurs, l’en­traîne­ment s’intensifie. Sans coach, elle s’applique à regarder les images de com­péti­tion de la WSL – world surf league- pour décrypter les mou­ve­ments de manœu­vres à repro­duire. La trente­naire jon­gle entre son tra­vail à l’usine de choco­lat famil­iale et les ses­sions de surf. Miko­laj, qui a com­mencé le surf il y a 3 ans, par­ticipera lui aus­si à la com­péti­tion face à de grands sur­feurs inter­na­tionaux. « Imag­ine être en com­péti­tion face à ton chanteur préféré. C’est dingue ce qui va se pass­er. J’espère juste que je ne serai pas dernier », ajoute-t-il en rigolant. « Le niveau des sur­feurs polon­ais n’atteint pas celui des européens, il reste encore du chemin à faire. » avoue Jan Sad­ows­ki, le prési­dent de la Fédéra­tion. Com­pliqué de s’en­traîn­er et d’atteindre un niveau inter­na­tion­al avec les con­di­tions de la mer bal­tique. Karoli­na Wolin­s­ki, huit fois cham­pi­onne de Pologne explique : « Ici, tu es telle­ment con­tent d’avoir une vague, tu fais un turn – une manœu­vre- et c’est fini. Pour pro­gress­er, il faut aller pra­ti­quer ailleurs ». L’événement promet un beau coup de pro­jecteur pour le surf polon­ais que tous atten­dent. Autant que la vague.