Le plus vieux club de football de Varsovie aurait bien pu disparaître en 2013. L’homme d’affaires français Grégoire Nitot, arrivé à la tête du Polonia en juin 2020, a lancé une nouvelle dynamique positive. Dans le quartier historique du club, l’espoir de retrouver les sommets galvanise les supporters.
Debout au milieu de la tribune, Marcin Bratkowski balaie le terrain du regard. Le directeur commercial du club s’arrête et pointe du doigt l’une des deux cages du stade Kazimierz-Sosnkowski. « On a marqué à la dernière seconde, et on s’est assuré la montée », lance-t-il avec un grand sourire. « C’était fou, je n’avais jamais vu le stade aussi plein à craquer et avec autant de fumigènes », poursuit-il en déambulant dans les gradins.
C’était il y a près de dix mois : le Polonia Warszawa — petit club historique du quartier de Konwiktorska, non loin du centre-ville de Varsovie — remontait en 3e division. Il en finit ainsi avec une période noire de son histoire — neuf années en dehors du monde professionnel — et a l’ambition de ne surtout pas en rester là.
Dans l’ombre du « grand » Legia
Pour autant, pas de grands titres dans les journaux ou de défilés dans les rues de la capitale. À Madrid, il y a le Real et l’Atletico, à Rome, l’AS Roma et la Lazio. À Varsovie, il n’y a qu’un seul « grand » club actuellement : le Legia. Largement financé et aidé par l’armée pendant la guerre froide, il est devenu le « PSG du football polonais ». À la fois le plus adulé et le plus détesté du pays, c’est lui qui vampirise les titres, sur le terrain et dans la presse.
Le Polonia est lui le plus vieux club de la ville, mais « on a l’habitude de faire le yoyo », regrette Marcin Bratkowski. Son éternel rival joue lui en première division sans interruption depuis 1948. Récemment, le Polonia a connu de graves problèmes financiers. Conséquence : une relégation au plus bas du football national — la 5e division — en 2013. « Tous les anciens nous le disent : c’était devenu du masochisme de supporter ce club ! », confie en buvant une bière Joshua, étudiant de 24 ans qui suit le club depuis peu.
Le coup a été difficile à encaisser pour tout le quartier. À Konwiktorska, le Polonia est la seule chose qui n’a jamais été détruite. Situés au coeur du ghetto de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale, les immeubles, bureaux et autres magasins avaient été rasés par les nazis. Le « KSP » — comme on appelle le club ici — est partout : les graffitis décorent les murs des immeubles et les stickers recouvrent les lampadaires. Au cœur du quartier, de l’autre côté de la fresque qui rend hommage à l’insurrection des résistants varsoviens en 1944, trône le (vétuste) stade Kazimierz-Sosnkowski. En face, l’école Władysława Andersa accueille les jeunes du centre de formation du Polonia. « J’aurais dû y aller quand j’avais neuf ans, j’étais gardien en équipe junior, se rappelle Marcin Bratkowski. Mais mes parents préféraient que je reste dans une école privée. »
Grégoire Nitot, le propriétaire qui « a tout changé »
Touché, certes, mais pas coulé. Le Polonia doit son renouveau à un Français : Grégoire Nitot. Ce fan du PSG, fondateur de l’entreprise informatique SII Poland, rachète le club en juin 2020 avec « des dividendes dont il ne savait pas trop quoi faire », expliquait-t-il au journal sportif polonais Przeglad Sportowy. Il éponge en urgence les 30 millions de zlotys de dette du club — environ 630.000 euros — puis dévoile son ambition : retrouver la première division d’ici 2029. « Il est devenu complètement fan du Polonia, sourit Marcin Bratkowski. Il vient à tous les matches, il met tellement d’argent qu’il a avancé l’objectif de première division à 2026. » L’arrivée de « Greg » — comme tout le monde l’appelle ici — a vraiment « tout changé », assure Bartosz, qui supporte le Polonia « depuis qu’il est dans son berceau ». Cet étudiant passionné du club a déjà discuté avec le propriétaire français, qui préfère les gradins classiques à la tribune VIP : « Avant ou après les matchs, on peut le trouver devant le stade et boire une bière avec lui. Il aime vraiment les fans. »
Bartosz vante le « lien exceptionnel » entre le club et ses supporters, assis sur la banquette noire, blanche et rouge du Czarna sports bar. Dans ce petit bar sombre, situé à l’entrée du stade, des dizaines et dizaines de maillots, écharpes, photos et autres drapeaux siglés « KSP » ornent les tables, les murs et le plafond. Ici se côtoient à la fois les « anciens », les supporters de naissance — comme Bartosz — et les fans tombés amoureux du club sur le tard. « Un lieu de transmission », abonde Bartłomiej, ingénieur en cybersécurité qui vient « régulièrement » discuter avec ses amis. Soudain, un « Hé Bartłomiej ! » résonne du fond du bar. C’est Marcin Bratkowski qui l’interpelle. Les deux hommes discutent dans le fond de la pièce, où est installé le bureau du directeur commercial. « Dans n’importe quel club normal, un simple supporter ne discute pas comme ça avec un dirigeant ! Il y aurait des barrières », commente le supporter.
Une « famille » qui s’élargit
« Ce lien rare et cette identité forte, j’en suis tombé complètement amoureux », raconte Joshua, qui supporte le Polonia depuis une petite dizaine d’années. Une passion qui occupe une grosse partie de son temps : « Lorsque je sors de cours, même cinq minutes, je vais sur Twitter voir s’il s’est passé quelque chose, une recrue, un blessé… ».
« Le travail des deux dernières années a ramené cette ambiance cool et amicale au Polonia », confirme Kamil Tybor, journaliste sportif à iGol. Ici, rares sont les sifflets ou les insultes contre les joueurs : « c’est ça aussi qu’on aime par rapport au Legia », lance Jam.
Parmi le staff, on trouve des fans de la première heure. Marcin Bratkowski, directeur commercial, « fait le métier de ses rêves ». Il y a quatre mois encore, il était conseiller dans une agence sportive de la capitale. « J’adorais mon travail, pour rien au monde je ne l’aurais quitté », insiste-il. Rien, ou presque. « Quand j’ai vu que le Polonia cherchait un responsable marketing, je n’ai pas hésité. Après 45 minutes d’entretien, Grégoire Nitot m’a dit “je jette les autres candidatures”. C’est fou », raconte celui qui rêvait, petit, de devenir joueur professionnel au « KSP ».
Bientôt un nouveau stade et une boutique
Depuis qu’il a été recruté, Marcin Bratkowski travaille, entre autres, à la création d’une boutique pour le club. « Pour l’instant, on n’a que ça », grimace-t-il. Un petit portant avec une quinzaine de maillots, caché dans un coin du bar. À côté, quelques écharpes, casquettes et magnets remplissent une modeste vitrine. « Plus suffisant » pour un club avec de telles ambitions.
Idem pour le stade Kazimierz-Sosnkowski, dont la vétusté ne permettrait pas de répondre aux normes de la première division. « On va construire une nouvelle enceinte, promet Janusz Samel, directeur du bureau des sports de la ville. Elle sera plus récente et pourra accueillir 16 000 personnes, contre 7 000 aujourd’hui. » Cette saison, l’affluence moyenne est de 2 000 supporters, un niveau plus atteint depuis la dernière saison en première division. Et le potentiel existe : « Sur les trois dernières années, on a 20 000 personnes différentes qui sont venues », détaille la direction.
Retrouver le derby de Varsovie ? Et pourquoi pas. « Il y a largement la place pour deux grands clubs ! », affirme Janusz Samel. Jam a les yeux qui brillent rien qu’à y penser, lui qui n’a encore jamais vécu ces matches comme supporter : « Notre plus grand rêve, c’est de gagner contre le Legia et même de passer devant eux en nombre de victoires ! », s’amuse-t-il. Actuellement, chaque club compte 29 succès dans l’histoire des confrontations.
Pour l’heure, c’est une montée en deuxième division qui est espérée à la fin de la saison. « C’est l’une des équipes les plus fortes de la ligue, je pense qu’elle sera promue », pronostique le journaliste Kamil Tybor. Une montée qui rappellerait de bons souvenirs aux fans. En juin dernier, ils avaient fêté l’accession à la 3e division pendant de longues heures sur le parvis du stade. « Grégoire (Nitot) avait plongé dans la fontaine avec les joueurs ! », se rappelle, tout sourire, Joshua.