« Tout a changé » : à Varsovie, le club historique du Polonia reprend espoir

Le plus vieux club de foot­ball de Varso­vie aurait bien pu dis­paraître en 2013. L’homme d’affaires français Gré­goire Nitot, arrivé à la tête du Polo­nia en juin 2020, a lancé une nou­velle dynamique pos­i­tive. Dans le quarti­er his­torique du club, l’espoir de retrou­ver les som­mets gal­vanise les sup­port­ers.

Debout au milieu de la tri­bune, Marcin Bratkows­ki bal­aie le ter­rain du regard. Le directeur com­mer­cial du club s’arrête et pointe du doigt l’une des deux cages du stade Kaz­imierz-Sosnkows­ki. « On a mar­qué à la dernière sec­onde, et on s’est assuré la mon­tée », lance-t-il avec un grand sourire. « C’était fou, je n’avais jamais vu le stade aus­si plein à cra­quer et avec autant de fumigènes », pour­suit-il en déam­bu­lant dans les gradins.

C’était il y a près de dix mois : le Polo­nia Warsza­wa — petit club his­torique du quarti­er de Kon­wik­tors­ka, non loin du cen­tre-ville de Varso­vie — remon­tait en 3e divi­sion. Il en finit ain­si avec une péri­ode noire de son his­toire — neuf années en dehors du monde pro­fes­sion­nel — et a l’am­bi­tion de ne surtout pas en rester là.

Le stade avait fait le plein avec une belle ambiance lors du match décisif pour la mon­tée con­tre Legionovia, le 11 juin 2022. ©Polo­nia Warszawa/YouTube

Dans l’ombre du « grand » Legia

Pour autant, pas de grands titres dans les jour­naux ou de défilés dans les rues de la cap­i­tale. À Madrid, il y a le Real et l’Atletico, à Rome, l’AS Roma et la Lazio. À Varso­vie, il n’y a qu’un seul « grand » club actuelle­ment : le Legia. Large­ment financé et aidé par l’ar­mée pen­dant la guerre froide, il est devenu le « PSG du foot­ball polon­ais ». À la fois le plus adulé et le plus détesté du pays, c’est lui qui vam­pirise les titres, sur le ter­rain et dans la presse.

Le Polo­nia est lui le plus vieux club de la ville, mais « on a l’habitude de faire le yoyo », regrette Marcin Bratkows­ki. Son éter­nel rival joue lui en pre­mière divi­sion sans inter­rup­tion depuis 1948. Récem­ment, le Polo­nia a con­nu de graves prob­lèmes financiers. Con­séquence : une relé­ga­tion au plus bas du foot­ball nation­al — la 5e divi­sion — en 2013. « Tous les anciens nous le dis­ent : c’était devenu du masochisme de sup­port­er ce club ! », con­fie en buvant une bière Joshua, étu­di­ant de 24 ans qui suit le club depuis peu.

Le coup a été dif­fi­cile à encaiss­er pour tout le quarti­er. À Kon­wik­tors­ka, le Polo­nia est la seule chose qui n’a jamais été détru­ite. Situés au coeur du ghet­to de Varso­vie pen­dant la sec­onde guerre mon­di­ale, les immeubles, bureaux et autres mag­a­sins avaient été rasés par les nazis. Le « KSP » — comme on appelle le club ici — est partout : les graf­fi­tis décorent les murs des immeubles et les stick­ers recou­vrent les lam­padaires. Au cœur du quarti­er, de l’autre côté de la fresque qui rend hom­mage à l’insurrection des résis­tants varso­viens en 1944, trône le (vétuste) stade Kaz­imierz-Sosnkows­ki. En face, l’école Władysława Ander­sa accueille les jeunes du cen­tre de for­ma­tion du Polo­nia. « J’aurais dû y aller quand j’avais neuf ans, j’étais gar­di­en en équipe junior, se rap­pelle Marcin Bratkows­ki. Mais mes par­ents préféraient que je reste dans une école privée. »  

Un stick­er des ultras du Polo­nia revendique « Varso­vie au Polo­nia, et le Polo­nia à Varso­vie », dans le quarti­er de Kon­wik­tors­ka. ©Polska/Thomas Pinaroli

Grégoire Nitot, le propriétaire qui « a tout changé »

Touché, certes, mais pas coulé. Le Polo­nia doit son renou­veau à un Français : Gré­goire Nitot. Ce fan du PSG, fon­da­teur de l’entreprise infor­ma­tique SII Poland, rachète le club en juin 2020 avec « des div­i­den­des dont il ne savait pas trop quoi faire », expli­quait-t-il au jour­nal sportif polon­ais Przeglad Sportowy. Il éponge en urgence les 30 mil­lions de zlo­tys de dette du club — env­i­ron 630.000 euros — puis dévoile son ambi­tion : retrou­ver la pre­mière divi­sion d’ici 2029. « Il est devenu com­plète­ment fan du Polo­nia, sourit Marcin Bratkows­ki. Il vient à tous les match­es, il met telle­ment d’argent qu’il a avancé l’objectif de pre­mière divi­sion à 2026. » L’arrivée de « Greg » — comme tout le monde l’appelle ici — a vrai­ment « tout changé », assure Bar­tosz, qui sup­porte le Polo­nia « depuis qu’il est dans son berceau ». Cet étu­di­ant pas­sion­né du club a déjà dis­cuté avec le pro­prié­taire français, qui préfère les gradins clas­siques à la tri­bune VIP : « Avant ou après les matchs, on peut le trou­ver devant le stade et boire une bière avec lui. Il aime vrai­ment les fans. »

Bar­tosz vante le « lien excep­tion­nel » entre le club et ses sup­port­ers, assis sur la ban­quette noire, blanche et rouge du Czarna sports bar. Dans ce petit bar som­bre, situé à l’entrée du stade, des dizaines et dizaines de mail­lots, écharpes, pho­tos et autres dra­peaux siglés « KSP » ornent les tables, les murs et le pla­fond. Ici se côtoient à la fois les « anciens », les sup­port­ers de nais­sance — comme Bar­tosz — et les fans tombés amoureux du club sur le tard. « Un lieu de trans­mis­sion », abonde Bartłomiej, ingénieur en cyber­sécu­rité qui vient « régulière­ment » dis­cuter avec ses amis. Soudain, un « Hé Bartłomiej ! » résonne du fond du bar. C’est Marcin Bratkows­ki qui l’interpelle. Les deux hommes dis­cu­tent dans le fond de la pièce, où est instal­lé le bureau du directeur com­mer­cial. « Dans n’importe quel club nor­mal, un sim­ple sup­port­er ne dis­cute pas comme ça avec un dirigeant ! Il y aurait des bar­rières », com­mente le sup­port­er.

Jam, Bar­tosz, Joshua et Bartłomiej (de la gauche vers la droite) aiment débriefer les match­es au bar du stade Kaz­imierz-Sosnkows­ki. ©Polska/Thomas Pinaroli

Une « famille » qui s’élargit

« Ce lien rare et cette iden­tité forte, j’en suis tombé com­plète­ment amoureux », racon­te Joshua, qui sup­porte le Polo­nia depuis une petite dizaine d’années. Une pas­sion qui occupe une grosse par­tie de son temps : « Lorsque je sors de cours, même cinq min­utes, je vais sur Twit­ter voir s’il s’est passé quelque chose, une recrue, un blessé… ».

« Le tra­vail des deux dernières années a ramené cette ambiance cool et ami­cale au Polo­nia », con­firme Kamil Tybor, jour­nal­iste sportif à iGol. Ici, rares sont les sif­flets ou les insultes con­tre les joueurs : « c’est ça aus­si qu’on aime par rap­port au Legia », lance Jam. 

Par­mi le staff, on trou­ve des fans de la pre­mière heure. Marcin Bratkows­ki, directeur com­mer­cial, « fait le méti­er de ses rêves ». Il y a qua­tre mois encore, il était con­seiller dans une agence sportive de la cap­i­tale. « J’adorais mon tra­vail, pour rien au monde je ne l’aurais quit­té », insiste-il. Rien, ou presque. « Quand j’ai vu que le Polo­nia cher­chait un respon­s­able mar­ket­ing, je n’ai pas hésité. Après 45 min­utes d’entretien, Gré­goire Nitot m’a dit “je jette les autres can­di­da­tures”. C’est fou », racon­te celui qui rêvait, petit, de devenir joueur pro­fes­sion­nel au « KSP ». 

Le directeur com­mer­cial Marcin Bratkows­ki tra­vaille au fond du bar du stade, au con­tact direct des sup­port­ers. ©Polska/Thomas Pinaroli

Bientôt un nouveau stade et une boutique

Depuis qu’il a été recruté, Marcin Bratkows­ki tra­vaille, entre autres, à la créa­tion d’une bou­tique pour le club. « Pour l’instant, on n’a que ça », gri­mace-t-il. Un petit por­tant avec une quin­zaine de mail­lots, caché dans un coin du bar. À côté, quelques écharpes, cas­quettes et mag­nets rem­plis­sent une mod­este vit­rine. « Plus suff­isant » pour un club avec de telles ambi­tions. 

Idem pour le stade Kaz­imierz-Sosnkows­ki, dont la vétusté ne per­me­t­trait pas de répon­dre aux normes de la pre­mière divi­sion. « On va con­stru­ire une nou­velle enceinte, promet Janusz Samel, directeur du bureau des sports de la ville. Elle sera plus récente et pour­ra accueil­lir 16 000 per­son­nes, con­tre 7 000 aujourd’hui. » Cette sai­son, l’affluence moyenne est de 2 000 sup­port­ers, un niveau plus atteint depuis la dernière sai­son en pre­mière divi­sion. Et le poten­tiel existe : « Sur les trois dernières années, on a 20 000 per­son­nes dif­férentes qui sont venues », détaille la direc­tion. 

La « bou­tique » actuelle du club se résume à un petit por­tant de mail­lots et une vit­rine de sou­venirs dans un coin du bar. ©Polska/Thomas Pinaroli

Retrou­ver le der­by de Varso­vie ? Et pourquoi pas. « Il y a large­ment la place pour deux grands clubs ! », affirme Janusz Samel. Jam a les yeux qui bril­lent rien qu’à y penser, lui qui n’a encore jamais vécu ces match­es comme sup­port­er : « Notre plus grand rêve, c’est de gag­n­er con­tre le Legia et même de pass­er devant eux en nom­bre de vic­toires ! », s’amuse-t-il. Actuelle­ment, chaque club compte 29 suc­cès dans l’histoire des con­fronta­tions.

Pour l’heure, c’est une mon­tée en deux­ième divi­sion qui est espérée à la fin de la sai­son. « C’est l’une des équipes les plus fortes de la ligue, je pense qu’elle sera pro­mue », pronos­tique le jour­nal­iste Kamil Tybor. Une mon­tée qui rap­pellerait de bons sou­venirs aux fans. En juin dernier, ils avaient fêté l’accession à la 3e divi­sion pen­dant de longues heures sur le parvis du stade. « Gré­goire (Nitot) avait plongé dans la fontaine avec les joueurs ! », se rap­pelle, tout sourire, Joshua.