Après la crise migratoire à la frontière biélorusse, en 2021, l’armée polonaise a décidé de réhabiliter ses unités de cavalerie. Chargés de surveiller la frontière et d’intercepter les migrants, ces soldats à cheval se voient comme les héritiers des traditions militaires polonaises.
Après la crise migratoire à la frontière biélorusse, en 2021, l’armée polonaise a décidé de réhabiliter ses unités de cavalerie. Chargés de surveiller la frontière et d’intercepter les migrants, ces soldats à cheval se voient comme les héritiers des traditions militaires polonaises.
La rencontre est strictement encadrée. Deux attachés de presse de l’armée nous accompagnent jusqu’au point de rencontre avec la patrouille, situé à quelques mètres de la frontière. Nous ne verrons ni les gardes biélorusses, ni la rivière : « C’est une zone très sensible, aucun civil n’a le droit d’y accéder », met en garde l’un des communicants . En revanche, les cavaliers se prennent volontiers au jeu des caméras. La séance photo ne semble pas être du goût de l’un de leurs destriers, qui assène un vigoureux coup de sabot dans le torse d’un communicant de l’armée. Le tout, sous l’œil amusé de Marcin Pewlak, habitué aux sautes d’humeurs de sa monture.
Héritage culturel et patriotique
Uniforme dernier cri, pistolet au ceinturon et fougueux chevaux de race traditionnelle polonaise, l’équipement de ces militaires peut sembler anachronique. Tous utilisent les techniques des lanciers d’antan. Par exemple, ils n’hésitent pas à se mettre debout sur leurs chevaux afin d’observer au mieux la zone à surveiller à l’aide de leurs jumelles. « Nos prédécesseurs faisaient la même chose pendant la guerre polono-soviétique », explique Hagrid, le collègue de Marcin, un cavalier qui souhaite garder l’anonymat et dont le prénom a été modifié. Fidèles à la tradition en place depuis la Première Guerre mondiale, les membres de l’unité patrouillent avec leur propre cheval. La cavalerie est une arme ancestrale en Pologne, on lui consacre même un jour férié. Pour l’historien Jacques Wiacek, « la cavalerie est à la Pologne ce que la Royal Navy est à l’Angleterre ». En effet, pendant plus d’un siècle, les « hussards ailés » polonais ont régné en maître sur l’Europe, défaisant les armées ottomanes, austro-hongroises et russes. Puis, durant la Première Guerre mondiale et dans l’entre deux guerres, les lanciers polonais se sont distingués par leurs charges vigoureuses, capables de percer les lignes soviétiques.
Suite à la crise migratoire de 2021, cette tradition plus que centenaire a été remise au goût du jour au sein de la défense territoriale (WOT). Créée en 2014 et composée de civils volontaires, qui acceptent d’y consacrer certains de leurs week-ends, ce corps d’armée constitue une réserve en cas de situation d’urgence. Les réservistes sont alors chargés d’appuyer les gardes frontières dans leur mission de contrôle des flux migratoires. Juché sur la scelle de son destrier, Hagrid nous détaille les raisons de ce retour : « Le cheval est parfaitement adapté à ce terrain. Avec eux, une patrouille est environ quatre fois plus rapide. De plus, il permet de couvrir une distance plus longue car il est très endurant. On peut également mieux observer les alentours parce que le cavalier est élevé à 1,60 m du sol, et le cheval peut nous prévenir s’il détecte une présence hostile. Enfin, avec sa température corporelle moyenne de 38 degrés, il nous permet de nous réchauffer. »
Quelques jours après sa patrouille dans les marécages, Marcin Pawlak, petit-fils de hussard et vétéran des jeunesses anti-communistes des années 80, boit un café dans un restaurant de Lublin. Il est l’un des piliers de sa section. Mise en place en 2020, cette unité de cavalerie expérimentale d’une vingtaine de membres s’est développée au sein de la deuxième brigade de la défense territoriale de Lublin. Marcin s’est porté volontaire dès la création de la brigade montée : « Je fais du cheval depuis 30 ans et je suis membre de la défense territoriale depuis 6 ans. C’était naturel de rejoindre cette unité. » Une vie militaire qu’il perçoit comme la continuité de son engagement anti-communiste de jeunesse : « Toute ma vie est consacrée à la défense de la Pologne contre les dangers qui viennent de l’est. » Pour lui, « les immigrés clandestins sont les outils de Loukachenko et de Poutine. Ces derniers les utilisent dans le cadre d’une guerre hybride afin d’attaquer indirectement la Pologne ». « Si c’est plutôt calme dans notre secteur, nous nous attendons à une augmentation des traversées illégales de la frontière dans les prochains mois. Nous devons donc être prêts », nous glisse Marcin.
« Ce sont nos ennemis »
Avec son unité de cavalerie, Marcin a rencontré des migrants à plusieurs reprises. Déployé pendant la crise de novembre 2021, il refuse de nous expliquer précisément son rôle : « Nous avons des procédures en cas d’interception de migrants clandestins, mais je ne peux pas vous les en donner les détails ». Dès qu’il s’agit d’évoquer son travail de coopération avec les gardes frontières, la réponse de Marcin reste la même : « Je ne suis pas habilité à vous dire ce qui se passe à la frontière. » Pour lui, les migrants sont des « outils de Loukachenko ».
Pour certains militants qui viennent en aide aux migrants, ce silence cache des traitements inhumains. Selon eux, les militaires sont impliqués dans des violences ciblant les réfugiés et les humanitaires qui les soutiennent : « Les soldats de la défense territoriale […] sont dans l’illégalité complète et totale. Ce sont nos ennemis. Ils essayent de nous humilier. Certains humanitaires ont été obligés de se mettre à genoux, de s’allonger sur le sol. D’autres pointent leurs armes sur nous et nous interrogent pendant deux heures », explique Kamil, militant de l’ONG Grupa Granicia, qui n’a pas souhaité donner son nom. Face à ces accusations, la réponse du cavalier Marcin est sans appel : « Protéger la frontière, c’est le rôle de l’armée et des gardes frontières, pas celui des ONG néanmoins, si nous voyons quelqu’un en danger, migrant ou pas, nous allons le secourir et l’aider. »
Les humanitaires ne sont pas les seuls à critiquer l’armée et ses chevaux. En effet, pendant la crise de 2021, plusieurs députés du parti de centre droit Platforma Obywatelska ont moqué, sur les réseaux sociaux, le retour de la cavalerie. Le rédacteur en chef du journal conservateur Rzeczpospolita n’avait pas non plus hésité à railler l’initiative sur un ton ironique : « Des équipements des plus modernes ont été déployés à la frontière afin de la défendre contre les attaques hybrides ! » Mais pour Marta Gaborek, officier de communication au sein de la deuxième brigade de la défense territoriale de Lublin, ces critiques sont vaines : « Les chevaux sont utilisés dans de nombreuses armées modernes, que ce soit aux États-Unis, en Allemagne ou en Suisse. Ils ont fait preuve d’efficacité à plusieurs reprises en 2021. » Marcin, lui, semble confiant sur l’avenir de son unité : « On a de plus en plus de volontaires qui sont en cours d’inscription, nous allons être de plus en plus nombreux […] et nous avons le soutien total de notre hiérarchie. »