La cavalerie polonaise revient à la charge

Après la crise migra­toire à la fron­tière biélorusse, en 2021, l’armée polon­aise a décidé de réha­biliter ses unités de cav­a­lerie. Chargés de sur­veiller la fron­tière et d’intercepter les migrants, ces sol­dats à cheval se voient comme les héri­tiers des tra­di­tions mil­i­taires polon­ais­es.

Après la crise migra­toire à la fron­tière biélorusse, en 2021, l’armée polon­aise a décidé de réha­biliter ses unités de cav­a­lerie. Chargés de sur­veiller la fron­tière et d’intercepter les migrants, ces sol­dats à cheval se voient comme les héri­tiers des tra­di­tions mil­i­taires polon­ais­es.

La zone de patrouille des cav­a­liers s’étend sur 170 kilo­mètres. ©Polska/Guillaume Mau­rice

La ren­con­tre est stricte­ment encadrée. Deux attachés de presse de l’armée nous accom­pa­g­nent jusqu’au point de ren­con­tre avec la patrouille, situé à quelques mètres de la fron­tière. Nous ne ver­rons ni les gardes biéloruss­es, ni la riv­ière : « C’est une zone très sen­si­ble, aucun civ­il n’a le droit d’y accéder », met en garde l’un des com­mu­ni­cants . En revanche, les cav­a­liers se pren­nent volon­tiers au jeu des caméras. La séance pho­to ne sem­ble pas être du goût de l’un de leurs destri­ers, qui assène un vigoureux coup de sabot dans le torse d’un com­mu­ni­cant de l’armée. Le tout, sous l’œil amusé de Marcin Pewlak, habitué aux sautes d’humeurs de sa mon­ture.

Héritage culturel et patriotique

Uni­forme dernier cri, pis­to­let au cein­tur­on et fougueux chevaux de race tra­di­tion­nelle polon­aise, l’équipement de ces mil­i­taires peut sem­bler anachronique. Tous utilisent les tech­niques des lanciers d’an­tan. Par exem­ple, ils n’hésitent pas à se met­tre debout sur leurs chevaux afin d’observer au mieux la zone à sur­veiller à l’aide de leurs jumelles. « Nos prédécesseurs fai­saient la même chose pen­dant la guerre polono-sovié­tique », explique Hagrid, le col­lègue de Marcin, un cav­a­lier qui souhaite garder l’anonymat et dont le prénom a été mod­i­fié. Fidèles à la tra­di­tion en place depuis la Pre­mière Guerre mon­di­ale, les mem­bres de l’unité patrouil­lent avec leur pro­pre cheval. La cav­a­lerie est une arme ances­trale en Pologne, on lui con­sacre même un jour férié. Pour l’historien Jacques Wiacek, « la cav­a­lerie est à la Pologne ce que la Roy­al Navy est à l’An­gleterre ». En effet, pen­dant plus d’un siè­cle, les « hus­sards ailés » polon­ais ont régné en maître sur l’Europe, défaisant les armées ottomanes, aus­tro-hon­grois­es et russ­es. Puis, durant la Pre­mière Guerre mon­di­ale et dans l’entre deux guer­res, les lanciers polon­ais se sont dis­tin­gués par leurs charges vigoureuses, capa­bles de percer les lignes sovié­tiques.

Suite à la crise migra­toire de 2021, cette tra­di­tion plus que cen­te­naire a été remise au goût du jour au sein de la défense ter­ri­to­ri­ale (WOT). Créée en 2014 et com­posée de civils volon­taires, qui acceptent d’y con­sacr­er cer­tains de leurs week-ends, ce corps d’armée con­stitue une réserve en cas de sit­u­a­tion d’urgence. Les réservistes sont alors chargés d’appuyer les gardes fron­tières dans leur mis­sion de con­trôle des flux migra­toires. Juché sur la scelle de son destri­er, Hagrid nous détaille les raisons de ce retour : «  Le cheval est par­faite­ment adap­té à ce ter­rain. Avec eux, une patrouille est env­i­ron qua­tre fois plus rapi­de. De plus, il per­met de cou­vrir une dis­tance plus longue car il est très endurant. On peut égale­ment mieux observ­er les alen­tours parce que le cav­a­lier est élevé à 1,60 m du sol, et le cheval peut nous prévenir s’il détecte une présence hos­tile. Enfin, avec sa tem­péra­ture cor­porelle moyenne de 38 degrés, il nous per­met de nous réchauf­fer. »

Quelques jours après sa patrouille dans les marécages, Marcin Pawlak, petit-fils de hus­sard et vétéran des jeuness­es anti-com­mu­nistes des années 80, boit un café dans un restau­rant de Lublin. Il est l’un des piliers de sa sec­tion. Mise en place en 2020, cette unité de cav­a­lerie expéri­men­tale d’une ving­taine de mem­bres s’est dévelop­pée au sein de la deux­ième brigade de la défense ter­ri­to­ri­ale de Lublin. Marcin s’est porté volon­taire dès la créa­tion de la brigade mon­tée : « Je fais du cheval depuis 30 ans et je suis mem­bre de la défense ter­ri­to­ri­ale depuis 6 ans. C’était naturel de rejoin­dre cette unité. » Une vie mil­i­taire qu’il perçoit comme la con­ti­nu­ité de son engage­ment anti-com­mu­niste de jeunesse : « Toute ma vie est con­sacrée à la défense de la Pologne con­tre les dan­gers qui vien­nent de l’est. » Pour lui, « les immi­grés clan­des­tins sont les out­ils de Loukachenko et de Pou­tine. Ces derniers les utilisent dans le cadre d’une guerre hybride afin d’attaquer indi­recte­ment la Pologne ». « Si c’est plutôt calme dans notre secteur, nous nous atten­dons à une aug­men­ta­tion des tra­ver­sées illé­gales de la fron­tière dans les prochains mois. Nous devons donc être prêts », nous glisse Marcin.

« Ce sont nos ennemis »

Avec son unité de cav­a­lerie, Marcin a ren­con­tré des migrants à plusieurs repris­es. Déployé pen­dant la crise de novem­bre 2021, il refuse de nous expli­quer pré­cisé­ment son rôle : « Nous avons des procé­dures en cas d’interception de migrants clan­des­tins, mais je ne peux pas vous les en don­ner les détails ». Dès qu’il s’ag­it d’évoquer son tra­vail de coopéra­tion avec les gardes fron­tières, la réponse de Marcin reste la même : « Je ne suis pas habil­ité à vous dire ce qui se passe à la fron­tière. » Pour lui, les migrants sont des « out­ils de Loukachenko ».

Pour cer­tains mil­i­tants qui vien­nent en aide aux migrants, ce silence cache des traite­ments inhu­mains. Selon eux, les mil­i­taires sont impliqués dans des vio­lences ciblant les réfugiés et les human­i­taires qui les sou­ti­en­nent : « Les sol­dats de la défense ter­ri­to­ri­ale […] sont dans l’illégalité com­plète et totale. Ce sont nos enne­mis. Ils essayent de nous hum­i­li­er. Cer­tains human­i­taires ont été oblig­és de se met­tre à genoux, de s’allonger sur le sol. D’autres pointent leurs armes sur nous et nous inter­ro­gent pen­dant deux heures », explique Kamil, mil­i­tant de l’ONG Gru­pa Grani­cia, qui n’a pas souhaité don­ner son nom. Face à ces accu­sa­tions, la réponse du cav­a­lier Marcin est sans appel : « Pro­téger la fron­tière, c’est le rôle de l’armée et des gardes fron­tières, pas celui des ONG néan­moins, si nous voyons quelqu’un en dan­ger, migrant ou pas, nous allons le sec­ourir et l’aider. »

Les cav­a­liers sont une ving­taine au sein d’une brigade de 3 000 hommes. ©Polska/Guillaume Mau­rice

Les human­i­taires ne sont pas les seuls à cri­ti­quer l’armée et ses chevaux. En effet, pen­dant la crise de 2021, plusieurs députés du par­ti de cen­tre droit Plat­for­ma Oby­wa­tel­s­ka ont moqué, sur les réseaux soci­aux, le retour de la cav­a­lerie. Le rédac­teur en chef du jour­nal con­ser­va­teur Rzecz­pospoli­ta n’avait pas non plus hésité à railler l’initiative sur un ton ironique : « Des équipements des plus mod­ernes ont été déployés à la fron­tière afin de la défendre con­tre les attaques hybrides ! » Mais pour Mar­ta Gaborek, offici­er de com­mu­ni­ca­tion au sein de la deux­ième brigade de la défense ter­ri­to­ri­ale de Lublin, ces cri­tiques sont vaines : « Les chevaux sont util­isés dans de nom­breuses armées mod­ernes, que ce soit aux États-Unis, en Alle­magne ou en Suisse. Ils ont fait preuve d’ef­fi­cac­ité à plusieurs repris­es en 2021. » Marcin, lui, sem­ble con­fi­ant sur l’avenir de son unité : « On a de plus en plus de volon­taires qui sont en cours d’inscription, nous allons être de plus en plus nom­breux […] et nous avons le sou­tien total de notre hiérar­chie. »